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Un carré magique d'yeux géants
Ève Delalysse - Mai 2015

Radar…
D’emblée, le mot « radar » révèle et dissimule
Ses cinq lettres se lisent dans les deux sens
de gauche à droite, de dextre à senestre
exhibition de sa nature de palindrome
Sa consonance orientale cache son étymologie
son statut d’acronyme de souche anglaise
Comme l’aigle, le radar aime les hauteurs, l’altitude, la compagnie du vent, l’absence des hommes

Itxassou, Sembadel, Bollène, Opoul-Périllos…
un carré magique de noms
toponymes aux vibrations étranges qui invitent à la rêverie
un quatuor à radars où chacun joue sa propre partition
pourtant, une harmonie d’ensemble sourd de leurs ondes
Il n’y a pas de radar sans crête, sans échancrure sommitale
Il n’y a pas de radar, d’émission, de réception d’ondes sans jeux d’échos avec le paysage
Capter, transmettre les ondes, remplir une fonction de messager implique d’être l’enfant du dieu Hermès
le descendant de Heinrich Rudolf Hertz
Des correspondances se mettent en place entre radar intérieur et radar externe
bâtir un détecteur météo exige un grand initié, un chaman aux capteurs aiguisés
Avant d’écouter les tribus d’ondes portées par les orages, les tempêtes
de se brancher sur les bruits infinitésimaux des millénaires
il faut planter un sismographe en soi
avant de recueillir le silence du temps, les vibrations du climat, de la nature
le corps de l’architecte doit se faire caisse de résonance, transducteur

Grandes sentinelles de béton visibles depuis la lune
battues par les vents
vous coiffez les pinacles, vous tenant loin des hommes
là où la terre cède au ciel
là où la montagne dissuade l’humain d’y poser pied, d’y poser demeure

Vous êtes honorés d’être appelés totems futuristes, dieux modernes
vous vous grisez des raccords
entre vos architectures inventives et les silhouettes des stupas
des cairns, des monolithes, des forteresses cathares
vous oubliez votre vocation pratique, votre destinée technique
les drapant sous un voile ésotérique, une aura magique

Lorsque les vents se dissipent, abolissant votre ivresse
vous retrouvez votre statut d’orphelin
expulsés de la confrérie des menhirs, des cromlechs
entre les stupas et vous, un gouffre se creuse
les limites de l’analogie
l’imposture de la métaphore, du rattachement familial
vous sautent à la gorge
Les yeux de Bouddha, son bol renversé
les mégalithes, les cairns
agitent la primauté de leur fonction sacrée
leur commerce avec les morts, l’au-delà

Revenu de vos généalogies glorieuses
vous contemplez votre être pragmatique
votre pouvoir technologique éclate au grand jour
carte zodiacale vierge de puissances mystiques
votre sotériologie se cogne aux murs de l’ici-bas

Une ligne de partage ferme vous relègue hors du clan des édifices spirituels
mausolées bouddhistes, autels de pierre
traduisent l’espace en rituel funéraire
tout en leur construction est au service de l’au-delà, des disparus
mû par des forces centrifuges
destiné à entrer en contact avec les esprits

Dans la solitude d’Itxassou, de Sembadel, de Bollène, d’Opoul-Périllos
vous vous regardez dans le miroir du ciel
vous êtes là pour capter des esprits en forme d’ondes
les fées, les elfes électromagnétiques vous arrivent sous la guise de signaux
de traces de cataclysmes naturels traduits en graphes, en chiffres, en calculs vertigineux
Vous êtes là pour tirer des leçons de la nature
arracher des enseignements aux caprices atmosphériques, aux embardées météorologiques
vous êtes là pour accoucher de prédictions loin de tout surnaturel
mettre l’énorme collecte de données, leur traitement mathématique au service des hommes

Votre visée est anthropologique
le territoire des vivants est votre espace
vous êtes du côté de Créon
du règne de la cité, des forces centripètes
vous rêvez souvent de passer du côté d’Antigone
de son souci des morts
vous vous inventez des Polynice à enterrer
à célébrer dans des cérémonies amphibies
où votre ventre sert de sépulture

Il est vrai qu’à aller à votre rencontre
vous nous balancez votre mutisme de divas altières dans un décor grandiose
Divinités à la fois familières et lointaines, proches et étrangères
vous vous faites hostiles et accueillantes

Itxassou, un nom basque, un paysage d’avant
de loin, une coupole d’une blancheur sidérale
mosquée sur pilotis, dôme, totem, œil géant
un bilboquet inscrit à flanc de montagne
sur une ligne qui en révèle l’axe secret
dans une assonance avec les arêtes, les failles, la grammaire géomantique du pic
Avec son dôme couturé comme un ballon de football céleste
la sphère se dresse sur des échasses
modulée en une partition de fentes verticales
elle enfante un alignement de mâts de taille croissante
vestiges de bateaux échoués
lueur de sommet enneigé
l’espace se rythme oiseaux démiurges

Des mondes enroulés se déplient
symphonie baroque du pléistocène
l’architecture-sculpture libère les virtualités de la montagne actuelle
l’émergence d’une forme révèle les forces endormies
le dispositif se tient à l’heure deleuzienne

Côté exotérique
la géométrie du radar se fond dans la géomancie du lieu qui l’accueille
côté ésotérique, mélodie en sous-sol
elle restitue au site une proto-géométrie
réveille le profil paléolithique de la montagne
cheminant sur une ligne qui rappelle l’époque où l’érosion n’avait pas encore eu lieu
Le radar est un attracteur étrange par lequel le présent retrouve le temps des origines
des pans de l’avant
À l’extrême pointe de la modernité, de ses prouesses technologiques on recontacte le jadis
de travailler sur l’espace
le radar météo opère sur Chronos, sur le royaume de la mémoire
l’effet de la création topographique ricoche sur une révolution dans la durée
agir sur l’espace, c’est agir sur le temps
descendre le long du temps des pierres et des arbres
raviver le multiséculaire, invagination des époques

Itxassou, Sembadel, Bollène, Opoul-Périllos
un carré magique de noms…
Intervention sur le site et laisser-être du paysage
l’approche occidentale de la maîtrise, de la mainmise
et l’approche orientale d’une inscription à même les flux
se côtoient, s’entremêlent
les deux mouvements s’allient sans s’abolir
l’heure deleuzienne sonne une nouvelle fois
double geste « peindre soi sur le monde »
et « peindre le monde sur soi »

Les monolithes épousent le lieu et le transforment
Versant adret, les sculptures suivent le souffle de la nature
posant ses pas dans les siens
versant ubac, elles lui impriment leurs griffes
la dévient de son génome tellurique
la délogent de son immanence engourdie
vénération et violence sont portées à leur point d’indistinction

Sphinx énigmatiques, mutiques
les radars nous assaillent de questions que leur présence soulève
Que fait l’architecture au paysage, à l’homme, aux règnes minéral, végétal, animal ?
Que produit en retour le paysage sur l’architecture ?
Insérée dans la phusis, la technè travaille, modifie l’espace
Lové dans la nature
l’artifice courtise le site qu’il respecte et violente
déploie et scarifie
double visages de la connivence et de la lutte
Le méridien de la magie ?
leur devenir croisé
le devenir paysage de la construction
la métamorphose surnaturelle de la nature

Dans ces noces
au rôle profane de l’objet
se greffent ses dimensions cosmique, ésotérique, alchimique
La ronde des ancêtres
stupas, estrans, cairns
féconde les totems cubistes
reflux pélagique, engendrement spectral
En ce ressac, sortant de leurs codex
Chac, le dieu maya de la pluie
Tlaloc, le dieu aztèque des eaux, de la foudre
reviennent vous peupler d’âmes amérindiennes

Identité transpercée, décalée, altérée…
le trans-identique foudroie l’identique
l’autre perfore le même
le règne de l’extra-minéral cohabite avec le minéral
le béton devient frère de la roche
la nature est rendue à son autre
Variété de boustrophédon
le radar palindrome communique à la terre sa signature
Gaïa glisse dans le puits de l’avant, dans le cône de l’après
le radar se lit dans les deux sens
la flèche du temps vole dans les deux directions
du passé vers l’avenir, du futur vers le jadis

Le totem dit « halte » aux randonneurs, aux poètes de l’alpinisme
dans le paysage qu’il coupe et fait fluer, il pose une stase
la violence du lieu sur lui-même se dédouble
tordue par l’avènement spontané d’êtres totémiques
fruits de soubresauts géologiques tardifs.

Itxassou, Sembadel, Bollène, Opoul-Périllos
un carré magique de noms…
un quatuor de sphères blanches séparées dans l’espace
les murmures de la Méditerranée, des étoiles, des conifères
leur composent une armure
la lune pleine verse des roses tumultueuses
sur ses quatre consœurs immobiles
verse larmes sur les météores lunaires soustraits aux révolutions célestes
la jonction de la terre et du ciel passe par nous, le peuple des radars
le chant des sphères se roule en boule aux côtés des loups et des vautours
des genévriers et des coulemelles

Les vents d’autrefois se jettent à la mer
noyade de l’alphabet cathare
dans le combat de l’équinoxe du Bien et du Mal

Du pli synclinal apôtre de l’anticléricalisme
des hérésies voraces
s’élève le palindrome du jour et de la nuit

Aquilons, zéphyrs, tourbillons, grêles, averses de neige
ne rebroussent chemin face aux sentinelles

Tout est volume
volume les grommellements des sangliers, les rêveries de la garrigue
volume les siècles qui remontent le défilé des saisons
engrossent les toponymes
nécromancie dodécaphonique
l’éperon rocheux du château du Barry
les âmes troglodytes
exhument Anne Boleyn de l’argile de Bollène

Volume la solitude qui tient son ombre en laisse
volume les grimoires volants lancés d’un rempart du château de Peyrepertuse
gagnant la forteresse de Quéribus à dos de nano-galaxies
lors du rituel annuel des citadelles cathares

Volume le « où » du lieu qui se désespace
le retard de la bise sur l’aigle
les vagues qui brisent minuit sur midi
la fonte des millénaires
Demain serre la main du paléolithique
demain chute d’une falaise de lumière
dédale de l’organique où paissent les troupeaux
Le contre-artisan a pour nom nature
il faut passer langue sur les dômes blancs
afin de voir l’érosion des alpages dans la gorge des sapins bleus

Volume les deux pentagrammes tendus au-dessus de l’abîme
le pentagramme « radar » dansant autour du pentagramme « stupa »
trois consonnes rythmées par deux voyelles sacrées
volume le poing fermé
veillant sur les molécules de vie
abritées dans une blancheur stellaire.

Radar, une saveur linguistique arabe
un ballon blanc géant détaché d’une basilique byzantine
les pulsations érotiques monogames, bigames ou polygames sous la coupe de Herr Doppler
les brouillages ennemis
les ondes qui rentrent au bercail

Radar, un organe de réminiscences
fiché à l’extrémité de l’antenne
des signaux qui font cattleya
une danse d’éléments
dans les traces du faune de Nijinski
des ébats ondulatoires, corpusculaires
placés sous le signe du bourdon et de l’orchidée
une touche baron de Charlus
un zeste de rapports ancillaires, d’inceste pharaonique

Radars, ces chevaliers du vent
aux pouvoirs oraculaires
ces aèdes, frères des bardes et des scaldes
vaticinant sous leur calotte aveugle
vivant en cathares dans des siècles étranges
portant famine de neige quand vient l’été
diamants hautains nourris à la prose de Saint-John Perse
soufflant sur les terres basques et auvergnates
sur les pays vauclusiens, opoulenques
grands médiums captant les stances du poète de Vents

C’étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde […]
Et le dieu refluait des grands ouvrages de l’esprit […]
Les écritures nouvelles encloses dans les grands schistes à venir […]
… De hautes pierres dans le vent occuperaient encore mon silence.

L’esseulement des radars peuple leurs songes de temples de pierre
au crépuscule les invasions nocturnes battent leur plein
à la transhumance des mégalithes de l’âge de bronze
s’allie le retour des lhapsas himalayens, des pyramides de pierres sèches
la mémoire glisse comme une urne sur des fleuves cannibales.

Radar, ras d’art, Râ dard, rat d’arrhes dare-dare
le clan des palindromes ne compte que de rares spécimens
je siège à côté de « rêver », de « kayak », d’« Ubu »
Dans ma haute solitude je récite les fleurons de notre famille
l’envoûtement circulaire du vers de Virgile,
mué en testament situationniste
In girum imus nocte et consumimur igni
l’ouroboros alchimique lâché par Scutenaire
la mère Gide digère mal

Jamais je ne convoque
le virtuose héraldique de notre confrérie
Georges Perec et sa phrase palindrome de mille deux cent quarante-sept mots
jamais je ne regarde l’hiver, les bourrasques en face
je suis la preuve vivante de la justesse du système leibnizien
je suis une monade, sans porte ni fenêtre, qui reflète le monde
je suis l’idéalisme en acte
le métaphysicien des hauteurs
jonglant avec les polyèdres primordiaux.

Itxassou, Sembadel, Bollène, Opoul-Périllos
un carré magique de noms…
les quatre yeux géants taisent le calame de l’Histoire
enfoui dans des tapis d’épines
les forêts jugent par contumace les chasseurs aux oreilles longues
les cimes couvent les cadavres des cathares persécutés
mausolées de calcaire pour les héritiers des manichéens

Quand trop de morts s’engouffrent dans les bancs de fréquences
le radar plonge son être dans la grève
les yeux des stupas émigrent vers les tours
que convulsent les prophéties
le présent fait son nid
au fond du bec d’un aigle
dans l’entre-deux du jadis et de l’avenir.

Ève Delalysse
Mai 2015

Découvrir le texte poétique
[Dédale]
Stéphane Nowak Papantoniou - Mai 2015

Dédale a inventé
de la statuaire,
la hachette,
le fil à plomb,
la vrille, la colle :
représenter,
copier, couler,
coller – processeur.
Précurseur du cut-up,
du montage, de l’illusion
surgissante. Un rival plane :
son neveu Talos imagine
le tour, le compas, la scie,
à savoir le calcul,
la mesure, la circonférence,
le volume, créant une
débordante jalousie.
Dédale le balance donc
du haut de l’Acropole.
Pris en flagrant délit
en essayant de faire
disparaître le corps,
Dédale est condamné
au bannissement
par l’Aréopage et se réfugie
en Crète auprès de Minos.
Il fabrique des statues,
une place de danse
pour Ariane,
et une machine pour
Pasiphaé – une vache
de bois plaqué cuir
qui permet à la reine
dissimulée à l’intérieur
de s’unir au taureau,
ce qui lui fait enfanter
le Minotaure.
Il construit le labyrinthe
avec un sol en mosaïque
pour enfermer le Minotaure.
À la suite de sacrifice d’Athéniens,
Thésée entreprend
de tuer le Minotaure.
Dédale fournit à Ariane
la pelote qui permet
à Thésée de sortir
du labyrinthe.
Minos l’apprend
et enferme Dédale
et son fils Icare.
Dédale, enfermé par Thésée,
fabrique
des ailes avec des plumes,
du lin, de la cire.
Inventeur de l’évasion
par les airs d’avant Mesrine
et Michel Vaujour :
ne me libérez pas je m’en charge.
Ils s’envolent
mais Icare s’approche
trop près du soleil
et la cire fond.
Dédale arrive à Cumes près
de Naples puis
en Sicile au service
du roi Cocalos:
il construit un barrage,
une citadelle pour le trésor,
le soubassement
d’un temple d’Aphrodite
sur un rocher à pic
du mont Eryx,
un établissement thermal.
Minos propose
une récompense
à qui saura faire passer
un fil à travers
une coquille d’escargot.
Dédale réussit grâce
à une fourmi et du miel
à l’extrémité.
Minos réclame Dédale,
mais les filles du roi
– à qui il avait construit
des jouets des poupées
pré-Barbies munies
de jambes amovibles –
l’aident à ébouillanter
Minos dans son bain
grâce à un tuyau sortant
du plafond.
Dédale poursuit
ses aventures en Sardaigne,
et construit les Dédalies,
de nouveaux édifices.

Une passerelle s’étire, un mur
récolte ce qu’il n’a pas semé.
Dédale le sait bien,
qui ne se trompe jamais,
ou presque puisque les vérités
sont pliées dans le presque,
Dédale peut se perdre sans se tromper
mais pas l’inverse.

Injonctions paradoxales
de la figure de Dédale comme
figure tutélaire
des édifices et de l’écrit.
Je montre & je cache.
Dédale dévoile les statues des
dieux créant une
équivalence entre regarder
et être regardé, et cache
en même temps la vache
de bois, le labyrinthe,
la citadelle. Et dans la bâtisse,
sous la passerelle, en marge
de la page qu’est-ce qui est
caché & qu’est-ce qui est
montré ?
Nous ne sommes pas
dans un roman policier,
nous n’allons pas résoudre
l’énigme. Nous allons l’opacifier
jusqu’à l’étincelle. Nous n’allons
pas faire croire à la sortie, à l’exil.
Toute sortie est d’abord
une entrée gantée,
un pli extérieur.
Je-Dédale crée & tue. Je crée,
enfante, conçois, tue,
massacre.
Je crée le secret qui tue,
et je fais disparaître le plan secret
de l’évasion :
éva-naissant.
Je forme des illusions,
je pointe les désillusions.
Dédale crée
des formes illusoires:
Héraclès, face à sa statue,
la frappe en croyant qu’elle est vivante ;
la vache de bois devient appât
pour le taureau qui se fait
piéger – plus tard, le cheval
de Troie apporte le massacre.
Des formes se créent:
épiphanie. Quelles formes,
quels appâts inventer
pour attirer,
égarer le lecteur ?
Le labyrinthe comme piège
voluptueux, amanite captivante,
cadeau empoisonné.
Je marche droit,
je déambule sinueusement.
Dédale mène droit son rabot,
prescrit à Icare la route droite
de la navigation aérienne),
invente le fil à plomb rigide.
Je tourne, je fonce.
Et c’est lui
qui travaille les courbes :
le labyrinthe, la pelote d’Ariane ;
l’épisode du fil en spirale dans
l’escargot. Nous allons avancer
entre une écriture linéaire
et une écriture sinueuse voire
la répétitive, par à coups
dans des couloirs.
Ce qui casse la ligne,
courbe l’échine, tranche
et aplanit.
Je maîtrise avec excès/ je déborde
sous contrôle.
Dédale est celui qui maîtrise
(les thermes de Sélinonte,
le vol entre la chaleur du soleil
et l’humidité de la mer)
et celui qui est capable
des grands excès:
jalousie;
ébouillantage.
Je maîtrise, je déborde.
Et dans le béton-texte,
un dialogue asymétrique
entre intérieur et extérieur
s’instaure : s’appuyer
sur une maîtrise des consignes
pour s’autoriser
de grands excès ?
L’enfermement extérieur
et intérieur : comment
s’imbriquent les
obsessions de la prison
et de l’évasion, la prison
intérieure et extérieure.
La pâte de Michel Vaujour,
sa poigne,
sa manière d’avancer
en claudiquant,
son sourire zigzag,
sa vitalité exultée.
Ce n’est pas tous les jours
que l’on rencontre
aux portes du labyrinthe
un claudique en liberté pleine
et physique.
Ce n’est pas tous les jours,
non, c’est plus rare
qu’un angle droit.

je me perds
je me perds fort
je me perds très fort
je me perds total

Rat d’art
Un mur récolte ce qui doit lui
revenir dedans, ce qui revient n’est
jamais venu, il est extra, bonus,
pouvons nous vivre cloîtré et
décoré ?
Dédale le sait bien, qui ne
se trompe jamais.

pas/serelle
Le labyrinthe ne fait pas
le moine. Ne dit pas sa chaume
prière. Ne fait pas son ovale.
Le labyrinthe fait le pendant.
L’autre côté. Le labyrinthe bat
pavillon sans habiter pour résonner.
Par raison il ne veut pas habiter.
Pavillon de l’oreille : labyrinthe pour
résonner.
En quittant raison, labyrinthe
devient papillon. Ah j’ai quitté
raison ah je pavillonne. Et
déraisonne, nous pavillonnons. Fait
feu de tout bois. D’une perte, un
but. D’une souffrance, une foi.
Alchimique. Dôme
de l’imprononçable : il n’y a aucune
ineffable : des signes. Effacés, des
directions lacunaires – pointillés.

couver/récolte
Je cours. Je sors par l’entrée,
je m’y trouve. Je suis sorti
à l’intérieur, je passe la limite,
pour me retrouver à l’extérieur de
l’intérieur et à l’intérieur de l’extérieur.
Je sors dedans sans pléonasme ni
tautologie. Je me perds dans l’éty-
mologie du mot labyrinthe.
La hache, labrys, ça ne colle pas.
Pourtant Dédale sait coller,
il l’a inventé. Labris n’aboutit pas
nécessairement à λαβύ – laby
rinthe se fossilise : racines illisibles.
Le labyrinthe permet de se
retrouver avec soi in situ, en situa-
tion de penser. De se mentir à soi-
même, et donc de sortir de l’ego, de
la cage, pour entrer dans le soi, par
le mensonge, nous avons bien
besoin d’une clé. Le secret est cette
clé. Penser fait mal, décourage le
corps, casse l’ego, reconstruit un
labyrinthe mental en lego. Nous
pensons à partir d’un site. Ou encore:
de circonstances. Ou encore:
de ce qui nous tient. Ou encore:
dans les circonstancielles
de lieux et de temps, de moyen et de
manière, abolissant causes
et conséquences.

Ce matin-là, je ne suis pas allé
travailler. Je suis entré dans le
labyrinthe par la sortie.

J’ai failli le dire, je te jure, non je n’ai
pas avoué, j’ai fait vœu, j’ai voulu,
oui, le fantasme du nombril, de la
trace, du spectre s’est évanoui avec lui.

Et j’ai tourné à droite
et encore à droite – sens des
aiguilles d’une montre dans un
chronomètre arrêté. Je suis encore
enfermé volontairement.
Impossible d’y résister.
J’aurais aimé rester.
Mais l’aimant était trop fort.
Le pôle cérébral. Latitude mentale.
Longitude psychique.
Avancée laborieuse. Le pôle des
jambes. Galop sans pensée,
zigzags sans le savoir. Tu crois
courir dehors tu cours dedans.
Avancée laborieuse dans
les artères à contre-courant.
Ce jour-là, j’ai décidé d’avancer à
reculons. À pas chassé.
À hue et à. Sans crisser ni feutrer.
Sans glisser ni couiner.

Ce jour-là j’ai tourné et tourné la
question de la sortie dans la tête
question sans en faire le tour. C’est
lui elle qui m’a enlacé, entouré, avec
ses courbes, ses points. Ce jour-là il
n’y a plus aucune sortie de.
Pas d’en-dehors de. Nulle porte
vers. Aucun extérieur à.
Aucune issue à.

Mur donnant sur, cloisons séparées,
angle apparent.
Il n’y a que des sorties dans, à l’inté-
rieur, in-eso. Science du dedans. In
science. Eso-logie
& eso-nomie. Un nom qui sort, se
branche sur une préposition, une
béquille, un préfixe
qui rentre. Jointure tout
simplement. Barres
asymétriques pour les noms. Hier,
j’ai sorti dans la rue, je suis sorti en
ville. La rue est la sortie dedans
derrière les murs
du labyrinthe. La rue ouverte,
la rue imprévisible, la rue
qui débouche sur ou dans.

Stéphane Nowak Papantoniou
Mai 2015

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La troisième vague, l'oeuvre au vert
Véronique Bergen - Juin 2015

Cocktail de sable et d’eau salée
tu cherches la plus haute vague
à l’intérieur de tes vacillements mystiques
à l’endroit où les choses commencent

Dans l’estuaire de l’amour
la vague scélérate
fausse solitaire
vraie tricéphale
dont tu étreins chacune des trois sœurs
tes rendez-vous avec l’ombre de Tchekhov
n’ont de secret pour personne

Un rien te sépare de l’être
tes surfs sur des eaux verticales
le long des lignes de l’enfance
briguent le nouvel Avalon
aux trois couleurs, aux trois vagues

Tu as entendu les ophites
parler le haut égyptien
vu les acrobates
sortir du fleuve
édifier le chapiteau d’un cirque sauvage

Mascarets de la campagne
serres sur la mer
dans ton poing hurlant
tu tiens la promesse des trois vagues

La première femme
qui crissant cristal
jouira
lolita sonnet en X
dans des diagonales blanches, vertes, orange
tu la xylophoneras
poésie des salines
sa bouche
avalant ce qui reste de toi
quand
lacéré riffs de Gibson
ton corps miroite promesse
en quête de la Vague Moby Dick

Tu cherches
le point de jonction
le rivage des Syrtes
dans des stances rock’n’roll
des palissades de bois
où pendre le passé blet
des échancrures
soleil rasant
dans tes losanges érotiques

Tu guettes le mot
qui mettra feu au golfe de Gascogne
tout ce que la vie
déverse en mosaïques de lumières
tu le lapes in silencio veritas
L’ancêtre du soleil est une baleine de flammes
l’écume de tes nuits
grise la femme
qui crisse cristal
dans des volutes de substances illicites
jouant avec les atolls du grand large

La vague se découpe
dans le delta de la fille des sables
aux amours transatlantiques
en son a-grammaticalité tatouée
au creux de l’aine
en sa cathédrale de vitraux
tu lis
tes chakras clandestins
frangés de crachats électriques

Dans le sommeil des pierres
la vague se tord
chevelure violée par le soleil
un seul rayon
et les choses
réveillent dans l’espace
des spectres révolutionnaires
arrachant un matin rougeoyant
au calendrier lunaire

Tu cherches l’entre-deux vibratoire
le corps tourné
vers ta seconde naissance
au creux de la vague
qui décape la lumière
de ses chardons
qui déroute les dômes d’hélium
ton Beretta
calibre olympique
pirouettant sur sa pointe
servi avec une pin up on the rocks

L’iris des fauves
pris au collet
tu tricotes trois comètes
chuchotis turquoise
de nouvelles divagations sur Marilou
tu penses Gainsbourg zip sur la carotide
tu penses alerte sur la baie des anges
tu penses gangsta rap confrérie des hors la loi
voluptés sine qua non
une corolle de filles-jonquilles
paupières fendues made in Bangkok
à chaque coucher de soleil

Du trio de vagues
la première t’effarouche croque-mitaine
moins haute mais plus large
seul Charon peut t’y mener
par le fleuve Adour
afin que tu t’allonges en elle
délesté de tes rebuts psychiques
de tes sacs de fiente sentimentale

Tu te méfies des relents trinitaires
liturgie destroy
fléchée péché/châtiment/rachat
tu te défies de la progression en trois temps
dépôt des déchets/purification/nirvana
de Kurt Cobain
tu attends le mot de passe
pour le royaume de la poudre à perpète

Le premier cercle initiatique
te roule dans tes déjections
rien ne garantit
que la deuxième vague t’accueillera
s’il le faut
tu marineras noyade déchue
dans tes miasmes vocaliques
l’excrément élevé au rang d’art

Le deuxième cercle de feu
assainit les troués
épuration organico-chimique
pour crucifiés cyclothymiques
Le codex alchimique a muté
tectonique des éléments premiers
tu passes de l’œuvre au noir
à l’œuvre au rouge
avant de gagner l’œuvre au vert
sa jungle gothique-romane
ses arbres à mots velus

Rares sont ceux
à avoir plongé dans la troisième vague
la plus élevée la plus capriccioso
une Moby Dick à la beauté fatale
dont seuls les surfeurs
illuminés
anarchistes
captent l’élixir stellaire
écrin vert
pour pirates à la dérive
qui
copulent chlorophylle
sous les yeux de la pierre émeraude
nouvel atome de la plus-que-vie
dans une barrière de corail
secouée par des baby dolls.

Véronique Bergen
Juin 2015

Découvrir le texte poétique
La clouque selon Dominique Lesbégueris
Liliane Giraudon - Mai 2015

Nul ne sait par lui-même qui est son père
Homère

Renaître n’a jamais été au dessus de mes forces
Colette

I. Une animale conviction

Le mythe de la caverne nous avait enseigné que nos existences ne participaient plus de l’être qu’à l’état d’ombre.
La dégradation était en cours.
Ici entre la poule. Dans son obscénité archaïque. Cette grosse poule sans dent ni mamelle, mais qui couve.
Une clouque.
Certaines poules peuvent pondre plus de 200 œufs par an. Mais ici, il ne s’agit pas de pondre. Pondre n’est pas couver.
Savoir c’est savoir qu’il y a quelque chose qu’on ignore.
DL a observé les poules. En a photographié ; avec œufs, en position accroupie, avec poussins sous elles, obsessionnellement chaudes (au point qu’il faut leur maintenir le cul dans l’eau froide pour leur ôter cette manie lorsqu’elle devient inutile).
La température des poules observées aurait-elle un rapport avec le hameau ? La tradition ? L’organique ?
Ce vernaculaire « clouque » dont j’ignorais l’existence avait-il quelque chose à voir avec cette horrible expression entendue durant mon enfance provençale et sous un olivier ?: « Il l’a mise en cloque ». Sans bien comprendre j’avais pourtant saisi quelque chose de l’ordre insaisissable du sexe…
La clouque est grosse sans être nécessairement engrossée puisqu’elle couve les œufs qu’on lui met sous le ventre. Idem pour le bâtiment portant son nom et qui réchauffe les étrangers qui passent ou repassent sa porte. Les œufs peuvent être en plâtre, les étrangers des morts. Les lois de l’hospitalité, une même connexion bouleversante ?
Ici, noter qu’on a longtemps hésité entre « Rugby » et « Clouque »…
Œuf. Ballon. Soleil. Unité. Ruine. Conservation. Dédale et Lumière. Un tas.
Un tas d’ordures n’est pas loin. La photographie existe déjà dans les choses. Faire, Défaire.
Ici se dresse la question : comment ne pas tomber dans une mystique du passé (pseudo authenticité), son insupportable plainte ? Une machine à habiter ? Une animale conviction ?
Ici les mots sont des pièges, une nostalgie naturaliste grouille dans leur ventre.
Vivons nous dans le passé ? Vivons nous dans un futur immédiat ?
C’est quoi vivre ? Habiter au présent ?
Où serions nous sans la fornication et le soleil ?
Ici et en lignes déposées, l’arrière-fond tragique d’un impossible présent.
Seule réponse : une demeure inaccoutumée. Celle-là même que tente de produire DL avec sa clouque.

II. Le document dépôt de rêve

Le choix de ce qu’on montre.
Garder. Jeter. Refaire. Défaire.
Ici, la fondation du hors-champ. DL ému par la clouque c’est à dire mis en mouvement par elle.
Pierres et plumes.
La clouque comme citation, introduisant un extra-texte nécessaire. Illusion réaliste du corps animal, matrice retournée à fonction vitale condensée, la clouque découpe l’espace et le remplit.
Lumière. Dédale. Mémoire.
L’habiter est en soi un parcours. Une mémoire hors du souvenir ?
A une lettre prés, le cloaque. Outillage d’emprunt ou fait réel.
Un corps tassé sur le sol. De la terre.
Ailleurs, une voix ventriloque rappelle un épisode où les hommes disaient d’une « espèce de femmes » qu’elles étaient « leur poule ». Ces poules là n’étaient ni poules d’eau ni clouques bien que le feu au cul soit une de leurs qualités.
L’historien travaille sur le matériau pour le transformer en histoire.
Ailleurs, une montagne devient un paysage.
Le premier travail de transcription des clouques, (l’acte de photographier, copier, observer) isole bien un corps, l’exile de sa pratique, de sa fonction. Le dessus va se déplacer au profit d’un dessous. Isolé, le document devient dépôt de rêve. C’est à partir des sous-bassements que va s’opérer une redistribution de l’espace.
Finalement, qui utilise qui ?
Il faut de la perte pour que la relance du désir soit assurée.
La clouque, résistance sociale prenant en charge des
structures profondes à évolution lente ?
Une puissance de vie rétive à la domestication ?

III. Le temps qui passe repasse

Revisitation d’une pseudo perte d’innocence, le choix d’un mot aujourd’hui disparu, effacé, équivaudrait à la mise en scène d’un objet manquant désigné dans un présent où justement il fait depuis longtemps défaut ?
L’enfouissement visible d’un passé serait-il alors une manière déguisée de faire place à un avenir ?
Toute figuration de clouque serait une représentation ? Mais quelle représentation ?
Coupé du référent initial le bâtiment produirait non seulement du fantôme mais du secret ?
Le résultat dans un paysage fonctionnerait alors comme une image inversée faisant place au manque en le cachant ?
Qui aujourd’hui se souvient que le temps qui passe repasse et coule dans les deux sens ?
Et le sexe de l’architecte vous y avez pensé au sexe de l’architecte ?

IV. Une fiction constituante

Comme pour Kafka la littérature, la clouque, un état provisoire qui peut durer toute une vie ?
Un objet de rêvagerie se poursuivant de siècle en siècle ?
Au bord des limites où toute compréhension se décompose, la clouque poule pondeuse, aura pourtant servi à désigner une ferme du XXVIIIe siècle. Type de maison liée à l’économie rurale – extension de la culture du maïs – poulailler à claire-voie, possibilité d’une autre distribution du visible, tentative d’une communauté paysanne partageant de l’espace et du temps, à l’abri du crime. Au bord d’une révolution.
La clouque à l’abri des crimes ? Le XVIIIe siècle ? Un sacré siècle !
Vulve. Nef. Bois. Résille. Tissage.
Entremêlement des poils sur le sexe des femmes. Incrustation des plumes dans la chair des gallines.
Ici entre Sade, contemporain de l’architecture des clouques, enfermé dans sa tour et se gavant de poulardes. La clouque (son image) est dans la phrase, elle est aussi dehors.
Ici resurgit le fantôme de mon arrière-grand mère, Angeline Laurent, vêtue de noir et urinant debout, jambes écartées, dans un champ de fèves. Ses grandes jupes masquant l’or mouillé de la pisse. Son corps tout entier se confond avec le paysage où il se découpe.
Ici resurgit Déméter, chaque printemps appelant sa fille Perséphone…
Quand venait le moment pathétique des jours de semailles, on se préparait par le jeûne à l’acte hasardeux. On parcourait avec des torches la terre labourée pour enflammer son énergie. Afin de l’inciter à la fécondité, on faisait passer sur elle les organes féminins de la prêtresse pour inciter Déméter à reproduire. Les femmes mariées, telles des clouques, restaient à cru vulve sur la terre un jour entier. On mêlait de la farine à de l’eau pour la faire goûter par la crevasse du sol à la déesse. On la buvait pour lui montrer le besoin qu’on en avait. A la fin, la déesse était réellement engrossée comme Déméter le fut par le héros laboureur, sur la jachère trois fois labourée. Aujourd’hui encore et par la clouque, nous pensons, nous expérimentons que nous sommes éternellement mortels.
La clouque anti-gadget ? anti-kit ? Une fiction constituante ?

V. Anagramme du corps vivant

Je tiens pour vrai ce que j’avance sur cette clouque.
J’établis le simple squelette d’un hypothétique récit de fiction, me figurant que…
Ou plutôt, je reste là, à regarder cette image, entre croisement d’histoire et de fiction. Une saisie analogisante.
À la suite de DL, reconfigurer le temps ? Son bruit ? Une bande son inaudible ?
La poule glousse. Un présent qui prendrait en charge non seulement la mémoire du passé mais son imaginaire. Une construction. Mieux : une simple tentative de reconstruction.
Abîme entre temps du monde et temps vécu. Considération.
La clouque inséparable des notions de chaleur et d’ombre-lumière je la vois ce soir comme une projection de cadran solaire. Un forme de radar. Elle s’y incarne et c’est lui qui s’incarne en elle. Don de l’heure, la saison, le temps que nous ferons. Longueur des ombres. Mais quelles ombres ? L’ennui avec les fantômes c’est qu’on ne les voit pas. Les culs dans la terre sont une adresse au manquant.
La clouque porte en elle le monde qui manque sans tomber dans l’usage mortifère de la relique. Simple prise en compte d’une dette envers les morts. Si le passé c’est ce que j’aurais vu, vécu, partagé si j’avais été là, les traces enfouies de la nouvelle clouque se bornent à reconfigurer la bouche encore humide des morts.
Un travail du temps dans une différence des temps.
Le bâtiment obtenu : un anagramme du corps vivant de la clouque.
Pour Sade, l’art d’écrire des romans ne pouvait s’acquérir que par des malheurs et des voyages. Mort et déplacement. Un hors-lieu de la fiction et du rêve.
(La clouque fruit de)
Incarnation d’une écriture déplacée ?
Une altération itinérante ?

VI. Le débiteur insolvable

La meilleure trahison d’une tradition s’opèrerait dans une transmission hors sol. Vulve dans la terre sans sol héréditaire: préliminaire aux travaux sur papier qui toujours sont nomades.
Figuration ambivalente du passé et du futur, cette résidence nous parle d’une familière étrangeté. A fonction fantômale.
Chantier. Indétermination. Effilochage.
La clouque, une dette de reconnaissance non seulement envers les morts (eux-mêmes constructeurs et usagers) mais envers la gallinacée d’origine (pondeuse, couveuse, fournissant ses œufs comme sa chair délicieuse à nos bouches voraces) faisant de chacun de nous un débiteur insolvable.
Quand la bâtisse porte en elle-même la trace d’un phénomène difficile à saisir puisque le passé-plouque n’est intelligible que comme persistant dans le présent du maintenant alors que le passé est dépassé et mort, la clouque opère un effet de décentrement. Elle nous fait basculer dans un ailleurs étranger. L’énigme de la distance temporelle est ici redoublée par celle des espèces. Vivantes, animales, végétales. Une clouque spéciste.
Si deux conditions sont réunies, la verdure les sépare.

Liliane Giraudon
Mai 2015

Découvrir le texte poétique
Tectona Grandis
Fédé Aranburu - Mai 2015

…Botanique : les tecks (tectona) sont de grands arbres, d’un bel aspect, à grandes feuilles entières, opposées, veloutées. Les fleurs régulières, groupées en cymes, ont un calice campanulé et une corolle blanche odorante. Le fruit, sphérique, drupacé, est comestible…

Les coudes plantés sur la table, le métis m’observe.
Un étrange gris bleuté teinte son regard.
Son pouce noir parcourt la balafre rougie qui lui coupe la joue.
Le métis se fait appeler Luis.
La balle de 32 est entrée sous l’œil et sortie près de l’oreille.
Au pays llanero, depuis l’époque coloniale, les bucherons et les vaqueros se cherchent des noises. Le pugilat avait débuté à la terrasse du restaurant El Tejero le long de la grand route de San Cristobal, à propos d’une histoire de femmes et de bois de contrebande.
C’était le soir de la fiesta de San Jose. Et les hommes avaient bu. Et les voisins se demandent encore qui tira le premier. Et si à part Luis, il y eut d’autres blessés.

… le bois de teck est excellent, dur, serré, et très résistant aux influences extérieures. On l’utilise en grande quantité pour les constructions navales…

Et Luis m’écoute parler de mes commanditaires yankees… et des huit cent mètres cube de planches.
Pour mon contact de Caracas, il n’y a aucun doute. Le meilleur teck du Venezuela et des Amériques pousse à Bum Bum dans l’état de Barinas. Mais après cette affirmation pérentoires, le discours s’est conjugué au conditionnel et conclu par une litanie de recommandations.
Et, après un long silence, il avait donné le nom de Luis comme on dénonce un complice dans les cachots d’un commissariat..
Une iguane aux écailles verte et rouge frôle nos jambes une carcasse de poulet dans la gueule.
Et Luis sourit.
Personne ne pourrait lui donner un âge ; cinquante, soixante peut être, plus ?
A son côté, l’indien Chocué se redresse d’un bond et claque de la main sur la poutre soutenant l’auvent.
— Es teca !
Surpris, les deux llaneros attablés derrière lui saisissent la crosse de leur revolver avant de reprendre leur conversation et de boire de la Maltin Polar au goulot.
Chocué est un indien Achagua originaire d’El Turpial passé la frontière colombienne.
D’un ample mouvement des bras, il désigne la charpente.
— Es teca tanbien !
Et aussi soudaine que si on avait ouvert un robinet, l’averse frappe le sol de terre battue. Argentée. Et drue. Et la moiteur nous étouffe comme si la chaleur de l’après midi était venue se réfugier sous l’auvent en notre compagnie.

Demain… Demain nous verrons si tu mérites ou non… le teck. D’un geste sans appel, Luis m’interdit de l’interrompre. Los llanos de Bum Bum sont des terres magiques… et tes dollars ne conclurons pas l’affaire… nous verrons le teck… Et il baisse la voix, à moins que la pluie ne redouble d’intensité. Je ne l’entend plus.

… Le teck nécessite 1,20m à 3m de précipitation par an… Son tronc est droit et cylindrique et peut atteindre un diamètre de 1,5 m pour une hauteur de 27 à 30 m avec 10 à 20 m sous branches et un houppier arrondi pouvant culminer à 46 m…

Au petit jour, j’ai rendez-vous à Ciudad Bolivia, une bourgade coloniale tracées au cordeau.
Avec des voies se coupant à angle droit. Et des maisons basses et blanchies à la chaux.
Luis m’attend dans la 23e rue devant une menuiserie décatie.
Deux autres métis et l’indien l’accompagnent. Ils boivent des bières à l’ombre d’un apamate à la fleur violine et au bois gris.
Je n’ai pas dormi… la chaleur… les moustiques… la pluie…
Et les cauchemars rythmés par les cliquetis de la climatisation…
Je me suis dit que j’aurai dû négocier avec une des deux cents menuiseries de Socopo. Ou alors avec los alemanes, fils et filles de réfugiés nazis qui trustent le bois de contrebande ou bien le teck trop jeune.
Luis conduit la Chevrolet Silverado, un monstre de près de quatre tonnes, fort utile pendant la saison des pluies précise-t-il en s’éloignant des faubourgs. Sans ralentir, il file sur la route inondée. Seul la connaissance du terrain et les alignements des tecks le guident.
Des gerbes d’écume s’élèvent et aveuglent parfois le paysage.
Nous traversons une lagune aux reflets d’acier d’où seuls émergent les palmiers.
Des mares de boue succèdent aux étendues d’eau vive.
A l’arrière, les trois hommes picolent de la bière en aiguisant leurs coupecoupes.
L’air conditionné est poussé au maximum.
Pour les habitants des savanes humides, le froid est un luxe. Je suis glacé pareil à la polar que Chocué m’offre par dessus l’épaule.

… La couleur du bois varie de jaune pâle à bronze ou beige rougeâtre au veinage sombre. L’aubier est blanc. C’est un bois mi-dur, qui se travaille facilement. Sa masse volumique est de 600 à 800 kgm-3…

Nous roulons depuis deux heures et nous avons déjà consommé une caisse de bières.
Ici on ne craint pas les contrôles d’alcoolémie !
L’étendue d’eau et l’horizon se confondent sous le soleil brulant. Et au-dessus de la brume, tel un mirage, j’aperçois les neiges éternelles de la sierra San Domingo. Nous nous garons dans la cour d’une ferme. Deux métis montés sur des chevaux criollos nous guettent. Le plus âgé porte une antique Winchester 30/30 en travers de sa selle. Et les vaqueros nous saluent d’un vague signe de la main comme pour signaler qu’ils sont sans intention belliqueuse.
Pas une minute à perdre, nous avançons à grandes enjambées dans les prairies immergées, parfois de l’eau jusqu’aux genoux. Chocué nous précède. Il voit des choses que nous ne voyons pas annonce Luis, un anaconda, un caïman baba ou les scolopendres vénéneux…
Et il sourit.
Les hommes soutiennent le rythme de cette marche harassante.
Solitaire au dessus de la savane inondée, se dresse un gigantesque saman. Et sous le parapluie de ses feuillages une centaine de bœufs gris nous observent.
La réverbération me brûle les yeux.
Luis pressent mon épuisement. Plus que deux cents mètres… et on sera au sec… le teck se mérite…

… Les fibres sont droites et rigides au grain serré facile à travailler et d’une finition très lisse. Il contient une oléorésine naturelle qui le rend extrêmement résistant aux agressions climatiques les plus rudes et d’une très grande durée dans le temps…

Devant nous, se dresse une colline. Et nous grimpons. Tout près du sommet, deux arbres que l’on nomme depuis l’antiquité, drago, s’agitent dans la brise suffocante.
Leur sève écarlate en fait un arbre mystérieux…
Urucurana !
Chocué cueille une poignée de feuilles et s’en frotte le visage avec vigueur.
Les deux métis l’imitent.
Je suis pris d’un vertige et me laisse tomber à genou.
Luis me relève en me tirant par le bras. Cette colline est le domaine des serpent à sonnettes… On est presque arrivé… Il me supporte sous l’aisselle et m’accompagne jusqu’au sommet.
Et… regarde… tu mérites le teck…
A nos pieds, la plantation serpente sur les rives d’une rivière rouge.
En aval, au-dessus de l’écume des rapides naissent des arc en ciel.
Et Luis m’explique en marchant : Ici on aime bien le folklore du farwest, et on raconte que le nom de Bum Bum évoque les coups de pistolet… pas du tout, c’est la transcription de l’expression gutturale indienne… sur la pirogue, elle prévenait du danger des rapides…
J’admire les arbres ; plantés sans alignement, ils imitent la forêt.

… En 20 ans, un hectare de plantation de tecks produit un volume très important de bois commercial.
Un teck de 20 ans a le même volume qu’un chêne de 80 ans…

Les arbres sont magnifiques. Leurs troncs larges et hauts.
Et le sous-bois m’attire. La fatigue s’est évanouie.
Plus bas, la rivière rugit. Le sol de la plantation résonne des coups sourds de la crue frappant les rochers. Luis se tient droit, les mains sur les hanches.
La moitié est pour toi… dit-il sans quitter les tecks des yeux. A la saison sèche, nous installerons une scierie sur la grève et tes planches partiront directement au port…
Il s’approche et, à la façon des maquignons de mon pays, m’octroie une poignée de main faisant office de contrat.
L’indien nous désigne un amas de pierres arrondies qu’il sécurise avant que nous nous installions.
Je retire enfin ma veste. Luis me tend une bière. Et nous trinquons.

Chocué est attiré par le tatouage à mon bras droit. Il fixe d’un œil noir le dragon ailé dessiné voici des années par un mélanésien de Vanuatu. L’ancien avait attendu six jours avant de me piquer la peau et, une nuit, mon tiki lui était apparu en songe…
À flan de colline, un nuage bleu indigo prend son envol et se déplace avec lenteur entre les branches. Le spectacle est féérique.
Chocué demeure figé.
Quand la nuée s’avoisine, on perçoit leurs cris… Et la colonie d’une centaines de perroquets nous survole et s’éloigne.
Maintenant en effleurant ma peau, l’indien soliloque dans sa langue maternelle.
Il disparaît derrière les pierres puis réapparaît plus excité. Il soulève la manche de mon t-shirt jusqu’à l’épaule. Et d’un coup, fait claquer bruyamment ses mâchoires et tournoyer son coupecoupe au dessus de sa tête.
Luis s’inquiète et s’adresse à lui en créole. Pour toute réponse, l’indien nous intime l’ordre de le suivre. Dans l’amas rocheux, une pierre plate se détache et lorsque nous nous approchons, nous découvrons des dizaines de gravures… des iguanes, des crocodiles, des serpents… Et Chocué frappe de la pointe de son arme sur un des pétroglyphes. Et je le vois… c’est le dragon que je porte tatoué au bras…
Le premier métis pousse un cris de surprise.
Le second s’éloigne de moi.
Dans mon dos, Luis chuchote : Je t’ai prévenu, les terres de Bum Bum sont magiques…

Fédé Aranburu
Mai 2015

Découvrir le texte poétique
Chercher le rythme
Amandine André - Juillet 2015

« Si on a perdu le rythme, alors on a perdu le monde » Novalis

L’architecte écrit dans le paysage, cherche son rythme, compose une partition, ordonne les matières, travaille l’écho du monde dans le solide. Fouille dans l’histoire et la poursuit.

« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule «Angelus Novus». Il représente un ange qui semble sur le point de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’Ange de l’Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »
Walter Benjamin. Sur le concept d’histoire, IX , 1940.

Premier temps premier rythme l’architecte dialogue avec l’ange de l’histoire. Penser l’existant. Penser les ruines. Concevoir la forme. La forme est un volume. Le volume entre dans la tête de l’architecte. Faire circuler le volume dans la tête en circulant autour du volume. Contenir le volume dans la tête contenir le nom et le lieu. Espace mental dans le silence. Premiers rythmes premières lignes. Les première lignes du volume physique échangent avec la main et l’oeil de l’architecte. Le volume se construit dans la tête avec la mémoire de la main. La mémoire de la main échange avec le savoir ancien des mains anciennes. La main échange sa mémoire dans les yeux de l’architecte. Tous les volumes sont dans la têtes. Tous les travaux des mains anciennes sont dans la tête. La mémoire de la main organise l’espace mentale dans lequel se déploie le volume physique. La forme se construit avec la mémoire de la main. Lignes droites lignes courbes arcs brisés. Les lignes extérieurs à la main entrent par le dedans de la main qui fait venir la forme sur le papier. Reproduire pour penser. Prendre avec soi l’existant. Le volume passe dans la main de l’architecte. Les mains ont engendré les lignes. Les lignes sont le résultat de la somme des pierres anciennes. Le volume de pierre est le volume des chants anciens et des mains anciennes. Les pierres sont la somme des mains anciennes engendrant le volume. Le bâtiment se dresse, il s’ouvre aux êtres anciens et les contient. Il abrite les peines du jours et l’angoisse de la nuit. Est un phare. Il s’ouvre pour se clore il s’offre à l’errant. L’ange de l’histoire est pris dans la tempête. L’architecte pense la ruine offre ses mains, interroge les sols, scrute la façade.

Trouver le rythme ancien déployer la partition mentale dans la tête de l’architecte. Ses mains contiennent l’ancien tracé et le tracé en devenir. Ses mains contiennent le compas, le compas s’ouvre avec notre siècle et joint le volume au chant de l’animal ancien à ce jour prochainement oeuvré. Le chant animal s’échange avec le rythme que je dois trouver. Je fais entrer dans ma tête le monde animal et le monde marin, le monde anciens aux mains anciennes. Je rentre dans la tête de l’architecte. L’architecte est dans ma tête. Je modifie les lignes de mes mains pour les échanger avec ses mains qui contiennent toutes les mains qui ont pensé les volumes, les pierres et les charpentes. Mes mains sentent la pierre grise du lieu. La pierre grise témoigne du temps. Ce que la pierre grise donne à mes mains ma tête l’entend. L’ange de l’histoire entre dans mes mains, redessine les lignes, accroît la vision. Je vois l’ange dans la tempête. J’entends l’architecte. L’architecte pense la ruine pense le rythme à peine. L’architecte reprend la partition et l’interprète.

Premier temps premier rythme. Premier temps d’avant le temps. Chercher le rythme. Ouvrir le sens.

Reprendre la partition. 1613. Dérouler le fil de l’histoire. 1613. Ponctuer de dates. 1613. Tête de l’architecte se vidant pour entrer dans les têtes datées. Faire parler les dates. Faire parler les histoires fantômes contenue dans les tête fantômes. L’architectes est dans les têtes fantômes. Les têtes fantômes sont dans ma tête. Passer des histoires fantômes aux mains fantômes. Déplier le premier geste. Déplier la première main. Relier le premier geste à la voix. Faire résonner la discorde. Faire résonner toutes les voix. Concert de malheur et de fureur. Concert de femme pourchassées. Querelle s’accordant aux voix de la discorde.

Temps de discorde et de Ténèbres. Poursuivre sur la discorde pour déplier le premier geste. Comprendre que le premier geste interrompt la discorde et rythme la terre et rythme le ciel et rythme les êtres. Premier geste cherchant le lieu propice. Premier geste croisant les espaces. Premier geste accouché du regard et de l’oreille. Premier geste cherchant lumière cherchant l’harmonie. Saisir le volume pour une première forme fixer par la main qui entre dans les siècles et les fait parler. Faire croiser les lignes du volume aux lignes de temps et maintenir la date. Dater comme nouer puis dénouer la date nouer au lieu faire parler le nœud de la date et du lieu. Le volume est un nœud. Le volume dans le lieu avec la date se dénoue. Le volume est un dénouement. Le volume est un couvent et le couvent est un dénouement. En liant le couvent au sol le couvent a fait lieu. En liant les habitants au couvent les habitants ont fait lieu. Pour que le couvent soit le liant de ce qui était délié le volume a fait lieu là où se croisent toutes choses. Le volume est contenu dans l’espace. L’espace est un paysage. Comprendre le paysage, arrimer le volume à la mer, adjoindre le ciel à la terre. Circuler autour du volume. Le volume est un centre de gravité entre la mer et le ciel. Interpréter les éléments. Le volume prend en masse dans la tête. La masse est contenue dans la main. Une extension liant l’ancien au présent.

Le volume est le lieu ancien pour les être anciens reliés à la terre et à la mer. Le ciel s’ouvre aux êtres anciens aux chant anciens aux mains anciennes pour relier la terre et la mer. La mer s’ouvre à la terre pour ouvrir les être anciens aux mains anciennes et bercer le silence reliant les êtres anciens à leurs voisins. Le volume est le lieu ancien croisant le temps ancien croisant les faire anciens jusqu’à notre jour reliant les marins à la terre reliant la terre aux longs voyages et aux marées. Le volume aux lignes anciennes attache les vivants aux disparus attache les anciens au présent attache les terriens aux marins croisent les lignes des mains échange le pain contre la pêche. Le volume est construit pour que les yeux s’attachent à lui sans que les marins ne s’y abîment. La constellation oriente la nuit des marins oriente l’extension à venir. Les repères sont cartographiés. L’architecte console l’ange de l’histoire. Il redonne forme et rythme aux ruines. Penser la charpente, observer les navires. Assemblage de barrots et de membrures. Haubanées depuis le haut des murs. Faire porter par les barques la lumière et le son. L’acoustique est précieuse. Penser les sols les ajuster, rendre la pierre apparente. Ouvrir ce qui a été muré ouvrir le sens du bâti garder le rythme. Préserver l’enveloppe, prévenir du temps, toucher à ce qui est par des procédés traditionnels. Rendre l’enfoui au regard. Premiers rythmes dans tous les rythmes, la partition s’articule, renforce les murs assure le temps, conduit l’eau de pluie à la citerne, abreuve le don. Accroître l’échos, étendre la bâtisse, l’ancrer au présent. L’architecte pense la mer, pense le bois, pense les marins et leur bateau. L’architecte est pensé par le monde. La boussole oriente dans ce qui est vaste. L’architecte pense avec la boussole. La boussole oriente la tâche de l’architecte oriente l’extension. L’extension s’ouvre sur la ville. Maintenir l’ouverture pour que le lieu soit toujours avec l’autre pour que le lien soit toujours le liens à l’autre. Penser la charpente observer les navires, donner à ce lieu terrestre la puissance du voyage tout en offrant refuge. L’ancienne main se noue à celle de notre jour et croise les êtres d’hier à ceux d’aujourd’hui. Penser la greffe à venir garder le rythme éviter le rejet. Faire corps. Adjoindre la moderne gargouille qui prendra soin de notre temps. Nous, vivants, dans son regard de pierre pour les siècles à venir. Ce qui s’imprime de nous dans la pierre. Ce que la pierre aura à témoigner à ceux qui sont encore à venir. C’est déjà l’avenir qui regarde les mains de ce jour comme les traces anciennes et entre dans les lignes des mains de jour et entre dans les têtes de ce jour. Ce qui de nous s’imprime bondit dans l’histoire et nous attend.

L’immense tâche pensée par l’architecte, par les maîtres d’ouvrage, les artisans, les ouvriers, cette immense et périlleuse tâche pour rassembler ce qui fut démembré, enfoui, laissé à l’insatiable ventre du temps.

Amandine André
Juillet 2015